Lettre mensuelle du GEHP – mars 2021 / 3

Aux membres de la Communauté suisse de Paris,
Mesdames, Messieurs,
Chers compatriotes et chers amis,

J’ai le plaisir de vous présenter l’hommage de Patrick Crispini au poète suisse Philippe Jaccottet, récemment décédé.

Patrick Crispini, musicien et écrivain, était un ami du poète. Ils ont travaillé ensemble. Patrick Crispini est membre du Groupe d’Etudes Helvétiques de Paris.

Je vous en souhaite bonne lecture.

Vous pouvez également consulter le blog de Patrick Crispini à l’adresse :
https://pc-blognote.blogspot.com/2021/02/philippe-jaccottet-1925-2021-hommage.html

Bien cordialement,

Valery Sandoz

Président

PHILIPPE JACCOTTET (1925-2021) 

UNE VOIX DE POESIE – HOMMAGE

L’effacement soit ma façon de resplendir

HOMMAGE

Loin des tumultes suffocants
Bavardages tapages
incessants du monde
une grande voix de poésie
à Grignan dans la nuit
de mercredi à jeudi
s’est tue discrètement
Devoir de silence
dans l’incandescence immobile
dans l’ordre de la profondeur
Un frissonnement
d’air et mer Rilke
au Val des Nymphes
a bruissé du murmure
de leurs mots enlacés
aussitôt dispersé
par la lumière d’aube
en gouttelettes imperceptibles
sinon à quelque guetteur
patient d’interstices

P. Crispini (26 février 2021)

Une courte biographie de Philippe Jaccottet

Discours de remerciements de Philippe Jaccottet pour le prix Rambert (1956) :

« Il se verrait plutôt, ce poète, dans une cave que sur des tours ; sans ornements royaux, mais vêtu comme n’importe quel homme soucieux ; chaque année plus oublié, plus enseveli par l’obscurité grandissante ; ne parvenant qu’à grand peine à préserver la flamme d’une bougie de quelque tempête soufflant dans son souterrain avec rage et sans relâche. Certes, ce n’est plus le Soleil qu’il fut peut-être au commencement ; ni un Fils du Soleil ; ni même un Porte-flambeau ou un Phare ; tout juste une espèce de vieux Chinois anonyme, peignant dans une cave à la lumière d’une bougie, appliqué à figurer sur sa page peut-être une montagne, une cascade, ou un visage de femme ; et il rêve cette montagne, ces eaux, ces yeux si merveilleusement, si parfaitement peints, avec une si fine, si pure, et si modeste perfection que, s’il tendait cette page à un voisin en difficulté, sur le point de mourir et se débattant, cet homme, examinant la page terminée, sourirait d’un air d’intelligence et, la page dans la main comme un débris d’un nouveau Livre des Morts, passerait sans peur ni regrets le seuil du très sombre espace qui l’attend pour l’engloutir ou le changer. »

Voir & entendre Philippe Jaccottet :

  • Emission de télévision « En personne« , réalisée par Liliane Annen, avec José Roy, diffusée sur la RTS le 21 avril 1975 : https://www.youtube.com/watch?v=uOog79nH8qs
  • Emission de télévision « Hôtel », intitulée « Poésie et nature » par la RTS, diffusée le 20 décembre 1990 : https://www.youtube.com/watch?v=uXiWmh9kfUo
  • Portrait dans la collection « Plans-Fixes » (24 juin 1978) : https://vimeo.com/128037884
  • Émission de télévision « la Voix au chapitre » consacrée à RILKE, L’exil helvète ou le passage d’un poète (RTS-7 juillet 1975). Invités : Philippe Jaccottet, Maurice Zermatten, Mme de Sépibus-de Preux et Pierre-Alain Tâche : https://www.youtube.com/watch?v=4-A-YCqAxjY
  • Entretien avec L’Arbre à Lettres (31/01/2011) : https://www.youtube.com/watch?v=436KBTpddMI
  • Texte de Ph. Jaccottet : lecture par Kilian Rochat de « éclaircies » in « Paysages avec figures absentes », Gallimard 1970 (© Vivre Livre) : https://www.youtube.com/watch?v=v-tp6kJlCWg
  • Texte de Ph. Jaccottet : Et moi maintenant… poème de Philippe Jaccottet lu par A. Mettouchi : https://www.youtube.com/watch?v=i_e3JxsnJ3k

Que la fin nous illumine

Sombre ennemi qui nous combats et nous resserres,
laisse-moi, dans le peu de jours que je détiens,
vouer ma faiblesse et ma force à la lumière :
et que je sois changé en éclair à la fin.

Moins il y a d’avidité et de faconde
En nos propos, mieux on les néglige pour voir
Jusque dans leur hésitation briller le monde
entre le matin ivre et la légèreté du soir.

Moins nos larmes apparaîtront brouillant nos yeux
et nos personnes par la crainte garrottées,
plus les regards iront s’éclaircissant et mieux
les égarés verront les portes enterrées.

L’effacement soit ma façon de resplendir,
la pauvreté surcharge de fruits notre table,
la mort, prochaine ou vague selon son désir,
soit l’aliment de la lumière inépuisable.

Philippe Jaccottet, in L’Ignorant © Gallimard 1958