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Lettre mensuelle du GEHP – novembre 2020

Aux membres de la Communauté suisse de Paris,
Mesdames, Messieurs,
Chers compatriotes et chers amis,

La nouvelle mesure de confinement nous oblige bien malheureusement à renoncer au projet de la visite de l’exposition Giacometti. Espérons que celle-ci sera prolongée.

Ce mois-ci, nous devons nous acquitter de notre devoir électoral. Nous devons nous prononcer sur deux initiatives populaires :

  • Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement. Cette première initiative est relative à la responsabilité des entreprises commerciales en matière de droits de l’homme et de protection de l’environnement
  • Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre (voir note ci-dessous)

Je vous invite à lire attentivement la brochure jointe au bulletin de vote pour vous forger votre opinion. Vous pouvez aussi consulter la note ci-jointe que j’ai rédigée. Elle comprend une revue de presse sur la première initiative et le commentaire de la notice pour la seconde.

Je vous adresse mes plus chaleureuses salutations et vous recommande toujours la plus grande prudence.

Valery Sandoz
Président

NOTE sur les deux initiatives du 29 novembre 2020

1 – Initiative populaire « Entreprise responsable pour protéger l’être humain et l’environnement »

La protection légale des êtres humains et de l’environnement n’a pas suivi le rythme de la mondialisation, ce qui permet aux entreprises multinationales d’ignorer les frontières et les restrictions étatiques. Beaucoup de multinationales profitent des législations faibles et des systèmes judiciaires défaillants de certains pays pour violer les droits de l’homme et les standards environnementaux qu’elles sont en revanche obligées de respecter dans leur propre pays.

La Suisse est le siège de nombreuses multinationales, notamment dans le commerce des matières premières, sujettes à de nombreuses critiques.

La responsabilité des entreprises

L’adoption, par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies (CDH), des « principes directeurs relatifs entreprises et aux droits de l’homme » en 2011, considère les entreprises responsables du respect des droits humains et confie aux États la tâche de protéger ces mêmes droits et de garantir aux victimes des violations un accès adéquat à recours et à réparation par des mesures volontaires et des règles contraignantes.

En 2011, l’OCDE a approuvé une version mise à jour de ses principes directeurs à l’intention des sociétés multinationales.

L’application des principes des Nations Unies doit être formulée dans un plan d’action nationale -la Suisse l’a fait en décembre 2016– certains états dont la France ont opté pour l’adoption –ou du moins pour l’évaluation- des mesures contraignantes sur l’obligation de devoir de vigilance. Le gouvernement suisse soutient une approche reposant essentiellement sur des mécanismes volontaires.

Cette attitude a été critiquée tout au long du débat sur l’application des principes des Nations Unies dont l’élaboration a été fortement soutenu par la Suisse–par de nombreuses organisations non gouvernementales actives dans la défense des droits humains.
En 2015 elles ont lancé l’initiative populaire « Entreprises responsables » pour protéger l’être humain et l’environnement. L’obligation s’étend aux filiales et a toutes les relations commerciales de l’entreprise.

L’initiative prévoit également une responsabilité des sociétés pour les dommages causés par les sociétés qu’elles contrôlent, même à l’étranger, sauf si elles prouvent qu’elles ont appliqué une diligence raisonnable pour les éviter.

Quelle responsabilité ?

D’un point de vue juridique la discussion est très complexe. La principale difficulté reste le périmètre de la responsabilité.

Pour Karl Hofstetter, président de Suissholding, l’initiative prévoit une responsabilité « trop large et indéfinie ». De même, à son avis, le contre- projet ne fixerait pas de limites suffisantes et laisserait la porte ouverte à une responsabilité pour les actes tiers avec lesquels les entreprises entretiennent des relations commerciales sans pour autant les contrôler.
Selon ce professeur de droit, ces propositions laissent « un grand potentiel d’abus » qui favoriserait des processus démonstratifs à des fins de propagande contre les entreprises.
« Cela ne signifie pas que l’économie est contre toute forme de responsabilité » explique Karl Hofstetter.

En premier lieu les succursales des entreprises suisses répondent de leurs actes dans les pays où elles exercent leurs activités. De l’autre côté, dans les affaires graves, la législation en vigueur prévoit déjà la possibilité de demander à la société mère de répondre des actes accomplis par une succursale à l’étranger.
Ainsi, ce défenseur de l’économie estime que la Suisse devrait élaborer des obligations contractuelles en matière sociale et environnementale : cela correspondrait à la tendance internationale de l’économie et ne s’y opposerait pas.

C’est ce principe que soutient un patron d’une société, Hugo van Buel, favorable à l’initiative
« Entreprises responsables » qu’il estime totalement bénéfique. Cette initiative est soutenue à gauche mais elle divise la droite et les autres entrepreneurs. Avec ses 70 employés en Suisse et environ 500 dans le monde, son entreprise serait directement concernée par les nouvelles prescriptions de l’initiative. Rappelons qu’elle demande que les sociétés suisses qui travaillent avec des entreprises étrangères puissent être jugées en Suisse s’il y a des cas de travail des enfants ou de pollution de l’environnement à l’étranger. « Nous avons tout intérêt demain, à mieux pouvoir contrôler toutes les plates-formes qui nous demandent des documents et à mieux les gérer au même titre que les normes de type ISO 9001 » argumente Hugo van Buel.

Faciliter la vie des entreprises

« L’initiative faciliterait la vie des entreprises » ajoute ce patron, non seulement dans le domaine des certifications mais aussi dans celui que les Anglo-saxons appellent le « same level playing field » soit l’égalité des chances pour tous les acteurs (déterminée par la nécessité de certification de même niveau). La tentation serait alors grande pour certaines entreprises d’aller voir ailleurs là où les normes sont moins restrictives. Le « same level playing field » (c’est à dire « appliquer les mêmes règles pour tout le monde » permet de contrer cette tendance. 

Traiter les gens avec dignité et respect

Cet entrepreneur réfute les arguments de ceux qui affirment que les entreprises suisses seraient désavantagées si elles devaient se soumettre aux règles les plus restrictives du monde au risque d’abandonner leurs activités sur place. Il établit un parallèle avec un chirurgien qui doit aller opérer dans des conditions difficiles mais qui doit avoir un minimum requis pour pouvoir opérer. « Si le minimum requis pour nous est de traiter les gens avec dignité et respect, alors on opère partout dans le monde. »

Aucun problème à appliquer le texte. Carte à jouer pour la Suisse

Pour ce patron, la Suisse a une carte à jouer avec ce texte : la réputation de la Suisse à travers le monde est excellente. Les gens, quand ils voient une entreprise suisse ont une perception de qualité et aussi d’intégrité, ce qui est encore beaucoup plus fort. Pour lui, ces nouvelles normes deviendraient une sorte de label suisse qui serait extrêmement fort.
« Une tendance mondiale se dessine qui veut que, non seulement le produit soit parfait, et aussi que la manière de le créer soit prouvée ».

Actionnaires responsables

Aujourd’hui déjà, les entreprises sont confrontées à une pression grandissante de leurs actionnaires pour être respectueuses des droits humains et de l’environnement. Les actionnaires de sociétés suisses sont sensibles aux questions soulevées par l’initiative et cela parce que l’on a affaire à des investisseurs institutionnels – notamment caisses de pension- plus que des fonds spéculatifs.

C’est l’avis de Jean- Luc Chenaux, avocat et professeur à l’université de Lausanne. Pour ce spécialiste du droit des sociétés, les investisseurs institutionnels veulent comprendre les risques auxquels les entreprises sont exposées. D’où cette pression pour qu’elles respectent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Avec l’initiative, les entreprises s’exposent à des sanctions judiciaires. Sans, ce sera éventuellement la sanction du marché. « Et cela ne suffit pas toujours », selon Vincent Kaufman, directeur de la fondation Ethos, pour l’investissement responsable.

Vincent Kaufman estime que les investisseurs sont trop cléments notamment avec les entreprises du secteur minier. Il va dire oui à l’initiative, donc un mécanisme contraignant. Même si à ton avis la majorité des entreprises cotées en Suisse respecte déjà le texte.

Pour l’ancien Conseiller aux États, Co-président du comité d’initiative pour des multinationales responsables, Dick Marty, l’acceptation de ce texte fondamental pour qui se soucie des Droits de l’Homme, ne causera pas de désertion de la Suisse par les entreprises. « Glencore a déjà déclaré qu’elle ne quitterait pas la Suisse. Il y a tellement d’avantages pour elle d’être en Suisse. » Il réfute aussi une éventuelle désertion par les multinationales des pays les plus pauvres qui perdraient ainsi une source importante de revenus. « Cela ne les ferait pas fuir et ne quitterons pas les pays où se trouvent les ressources dont le monde a besoin. »

Pas de risque de pénaliser les PME qui pourraient se retrouver submergées par des procédures auxquelles elles ne pourraient faire face. « On demande simplement que les entreprises fassent une analyse des risques liés aux activités et qu’elles prennent les mesures ».

L’initiative « Entreprises responsables », quels enjeux ?

Entreprises concernées : les initiants affirment que leur texte vise essentiellement les multinationales actives à l’étranger comme Glencore, LafargeHolcim ou Syngenta. Les opposants estiment qu’il touche aussi les PME. Toutes les entreprises concernées sont celles qui ont leur siège en Suisse et actives à l’étranger. Mais l’initiative demande au Parlement, qui doit élaborer la loi, de tenir compte des besoins des PME car pour elles, il y a peu d’engagements internationaux sauf celles impliquées dans le commerce de l’or et de diamant en provenance d’Afrique centrale, secteur considéré comme risqué.

Les entreprises pourront être traduites en justice lors de fautes commises par leurs filiales ou sous-traitants à l’étranger. L’enjeu consiste ici à déterminer le niveau de contrôle économique exercé par une société sur une autre. Les tribunaux sont chargés de cette tâche au cas par cas. A noter que les fournisseurs ne devraient pas être concernés par l’initiative, sauf dans le cas où une entreprise possède un seul fournisseur et que celui-ci dépend d’elle.

Les effets du contre- projet élaboré par le Parlement et soutenu par le Conseil fédéral et qui entrerait en vigueur en cas de rejet de l’initiative le 29 novembre.

Plus souple, la contre-proposition prévoit que seules les entreprises cotées en bourse et les sociétés financières -banques et assurances- de plus de 500 employés soient concernées. Elles devront rendre des comptes via un rapport.

Les grandes entreprises devraient respecter un devoir de diligence concernant le travail des enfants et l’exploitation des minerais provenant des zones de conflits. En clair, elles devraient prendre des mesures pour éviter des répercussions négatives.

Le reversement du fardeau de la preuve

L’accusé doit fournir la preuve de son innocence.

Pour Économiesuisse l’initiative contraint et les entreprises à démontrer qu’elles ont mis en place les mesures nécessaires pour surveiller les activités de leurs filiales et sous-traitants. Elles doivent prouver qu’elles ont tout fait pour prévenir le dommage en question. Pour les initiants cet argument ne tient pas. Selon eux, le fardeau de la preuve revient au plaignant, c’est à lui de monter un dossier contre l’entreprise.

Que dit la loi ?

Suivant l’article 55 du code des obligations, l’employeur est responsable des agissements de ses employés sauf s’il prouve qu’il a fait preuve de diligence. La législation parle de preuve libératoire et non de renversement du fardeau de la preuve.

Qu’en est-il dans le contre-projet ?

Le contre-projet ne prévoit pas la responsabilité des entreprises suisses devant les tribunaux lors des dommages causés par leurs filiales à l’étranger. Puisqu’il n’y a pas de procédure possible, la question du fardeau n’existe pas.

Surveiller la chaîne de production, le devoir de diligence

Les entreprises doivent garantir que leurs activités ne violent pas les droits humains et les normes environnementales internationales : identifier les risques liés à leurs activités et en prenant des mesures préventives en vérifiant l’efficacité. Elles doivent donc rendre compte sous forme de rapport public.

Cette notion de diligence est un outil qui figure au cœur des principes directeurs de l’ONU adoptés il y a une dizaine d’années.

Mise en place rapide

Dès qu’une entreprise lance une nouvelle activité et qu’elle élabore des contrats. Cette obligation de diligence s’étend à l’ensemble de la chaîne mondiale. Par exemple, une entreprise de mode suisse serait ainsi tenue de vérifier que toutes les entreprises étrangères de textiles, fabricants de tissus et les transformateurs de coton – qui dépendent d’elles- ont violé les droits humains ou porter atteinte à l’environnement. En revanche les entreprises sont libérées de leurs responsabilités si elles prouvent qu’elles ont rempli leur devoir de diligence.

Qu’en est-il dans le contre-projet ?

Le contre-projet comprend la notion de diligence mais pas pour toutes les questions liées aux droits humains et à l’environnement.

Seraient concernés : les domaines qui touchent au travail des enfants et des minerais provenant des zones de conflits, comme le commerce de l’or ou du diamant. Seules les grandes entreprises seraient visées.

Concernant la responsabilité : contrairement à l’initiative, il ne donne pas la possibilité aux victimes de demander réparation auprès de la société mère en Suisse pour des dommages causés par ses filiales à l’étranger.

Jugement en Suisse pour activité à l’étranger. Une procédure réaliste ?

Le texte demande que les sociétés suisses puissent être jugées sur le sol helvétique en cas le travail des enfants ou de pollution de l’environnement à l’étranger. Actuellement la justice suisse peut déjà traiter des faits produits à l’étranger : dans des cas de corruption, ou de garde d’enfants lors d’un divorce.

Une affaire concernant les droits humains a été traitée à Genève en 2006. Un procès intenté contre une succursale d’IBM accusée d’avoir fabriqué des machines qui ont permis de compter les victimes des camps de concentration nazis. Le Tribunal avait considéré que la société avait bien participé au génocide.

Réunir les preuves de l’étranger

Selon l’initiative, c’est au plaignant d’apporter les preuves au tribunal suisse.
Mais la récolte d’informations sera difficile car le dommage sera causé par une filiale de la société mère juridiquement indépendante et hors du territoire helvétique.
Pour agir à l’étranger les autorités doivent recourir à l’entraide judiciaire internationale qui peut s’avérer difficile.

Avalanche de plaintes ?

L’office fédéral de la justice estime qu’il est impossible de faire le pronostic sur une éventuelle augmentation des procédures.

Une procédure avant-gardiste ? Comparaison avec l’étranger

Les opposants présentent l’initiative comme unique au monde et allant trop loin.

Il existe en France un règlement qui implique la responsabilité civile des entreprises sur les droits de l’homme et des standards environnementaux. Il s’agit de la loi vigilance, adoptée en 2017. Elle concerne les entreprises de plus de 5000 employés en France et de plus de 10 000 collaborateurs dans le monde.

En Suisse le texte vise toutes les entreprises qui ont leur siège sur le sol helvétique et qui sont actives à l’étranger. Le champ d’application relatif aux PME reste à définir par le législateur.
En revanche la loi vigilance est plus sévère concernant la chaîne d’approvisionnement. La maison mère est en effet responsable des agissements de ses filiales et de ses fournisseurs. Alors qu’avec l’initiative c’est la notion de contrôle économique qui est décisive.

Projet similaire à l’initiative

L’union Européenne s’est engagé à émettre une directive qui devrait inclure une clause de responsabilité civile des entreprises.

Le contre-projet prévoit une amende de 100 000 Francs

Le contre-projet ne prévoit pas que les sociétés suisses puissent pas être jugées en Suisse en cas d’atteinte aux droits humains ou à l’environnement à l’étranger. Il s’agit essentiellement d’obliger les sociétés à rédiger un rapport sur ce sujet. Elles risquent une amende de 100 000 Fr. maximum.

L’obligation de produire des rapports se retrouve dans la plupart des législations en vigueur actuellement dans le monde.

« Peut-on vraiment continuer à bâtir notre bien-être sur des abus, des violations des droits de L’Homme, sur le travail des gamins et sur des désastres environnementaux » s’insurge Dick Marty ancien conseiller aux Etats et co-président du comité d’initiative.

« Le succès de l’initiative ne se fera pas nécessairement sur le dos de l’économie suisse. C’est un combat de valeur pas un combat contre l’économie ».

Lutter contre les zones de non-droit

Le développement des grands conglomérats aux quatre coins de la planète constitue pour lui un réel problème. « Ces grandes entreprises n’ont plus de véritable relation avec le territoire. Elles agissent au-delà des frontières alors que la législation et la juridiction sont restées essentiellement nationales. Cela crée des zones de non-droit où on peut agir sans avoir à répondre de ses propres actions » dénonce l’ancien procureur qui nie toutefois mener une fronde généralisée contre ce milieu. « Nous n’affirmons nullement que la majorité des multinationales se comporte mal. C’est le contraire, c’est une minorité. Il est donc aussi dans l’intérêt de la majorité qui se comporte bien que cette minorité réponde des dommages à l’environnement ou de la violation des droits de l’Homme.

Une économie qui a une tension éthique à sa base, est une économie durable qui a des perceptive ».

2 –  Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre 

L’objectif de l’initiative est de réduire la production mondiale de matériel de guerre

a) L’interdiction de financer les armes proscrites par la communauté internationale sera étendue à tous les autres producteurs de matériel de guerre dans le monde. Cet objectif n’est pas réaliste. La Suisse ne peut pas contraindre d’autres pays à prévoir une telle interdiction nationale. L’effet de l’initiative ne produira que sur la place financière suisse et sur une partie de l’industrie.

b) L’Interdiction de détenir des actions de producteurs de matériel de guerre ou de parts des fonds qui en contiennent.
Définition du producteur de guerre : toute entreprise dont plus de 5% du chiffre d’affaires annuels provient de la fabrication de matériel de guerre. Et les entreprises qui produisent également des biens civils ? Exemple : Rolls-Royce. ll faudra alors procéder à un examen individuel.

Conséquences : les investisseurs institutionnels (BNS, banques, assurances, fondations suisses, assurances AVS/AI, les caisses de pension) auront l’interdiction de financer les producteurs et auront l’obligation de se débarrasser de ces placements dans les quatre ans. De plus, ils ne pourront plus proposer les produits financiers qui répondront à cette définition.

La restriction de la liberté d’investissement des banques et les assurances affaiblira la place financière suisse.

Les sous-traitants de fabricants d’armes risquent de connaître des difficultés à obtenir du crédit auprès de leur banque. Elles investiront donc moins et deviendront moins compétitives.